Ma participation : Une nouvelle sur le feu...
Titre : Quelle est cette cruelle nervosité qui parcours nos corps brulants?
- Cinq… Quatre… Trois… Deux… Un… Bonne année !!!
Tout autour d’eux, soit assis autour des tables avoisinantes soit debout sur la piste de danse, les cotillons volaient
dans tous les sens, les joues se collaient et se décollaient en un rythme de bonheur frénétique, et les lèvres des couples se serraient langoureusement. Absorbée par cette joie communicative,
Stéphanie empoigna son petit frère dans ses bras avec ferveur et tendresse, elle était si contente de passer ce nouvel an avec lui, que rien ne lui sembla plus important à ce moment qu’eux deux.
Elle oublia les mois de galère, le décès de leurs parents dans cet horrible accident de voiture en février, et leur isolement. Loin de leurs responsabilités et noyés dans cette allégresse de la
saint sylvestre 2009, ils acceptèrent tous les deux d’oublier cette année si déprimante, et désastreuse, voulant absolument croire que 2010 serait mieux, beaucoup mieux ! Dans quinze jours,
ils fêteraient leurs vingt ans et rien ne viendrait ternir leur résolution de toujours rester souder. Leurs conjoints respectifs attablés en face d’eux s’étreignaient eux aussi. Stéphanie était
accompagnée de Marc, et Sam de Cécile, deux frangins ! Deux couples de jumeaux à la même table ! Maman en aurait rit si elle les avaient vus ensemble ! - N’y pense pas, se conjura
Stéphanie tandis que les hôtesses les invitaient à rejoindre la piste pour assister au spectacle pyrotechnique.
Gotta get that… Gotta get that… Gotta get that…
- Alors tu m’embrasses? Lui lança Marc qui langoureusement la séparait de sa moitié de
sang.
- Idiot ! Viens là !
Obligés de se crier dessus pour s’entendre, les deux couples remis dans le bon ordre rejoignaient la piste
de dance, enlacés et heureux d’être ensemble, tous les quatre, ou, tous les deux par deux.
Gotta get that that that
Au rythme des Black Eyed Peas, les jeunes commençaient à se balancer dans tous les sens, le spectacle de
lumière était autant endiablé que leurs corps qui battaient le rythme en cadence saccadé si fort que ni les fumigènes ni les odeurs mélangées de sueur et de parfum ne leur laissèrent le temps à
chacun de faire redescendre la pression ni de comprendre.
Boom boom boom
- Stéphanie ? Tu m’accompagnes aux toilettes ?
- Ok !
D’un signe de tête la jeune fille indiqua la direction à prendre à son amie qui n’était jamais venue en ‘sardines’
auparavant. Après que sa main ait parcouru le bras de son cher et tendre, elle s’éloigna.
- On revient ! lancèrent-elles en cœur avant d’abandonner leurs moitiés qui se trémoussaient difficilement,
tellement agglutinés au milieu de la piste.
Boom boom boom… Boom boom boom…
- Ouf ! J’en pouvais plus ! Alors tu t’amuses bien ? demanda Stéphanie à l’amie de son frère.
- Oui, c’est vraiment génial ici ! Je ne suis pas déçue de m’être laissée entrainer ! Comment tu connais
cette boite ?
- J’ai été serveuse, ici, l’an passé… C’est un ami qui m’a donné des invits’… Je me suis dis que ça serait
sympa !
Yo ! I got the hit that beat the block…You can get that bass
overload…
De la partie réservée aux urinoirs au sous sol, la musique leur parvenait plus feutrée mais
toujours aussi claire, les deux jeunes filles se permirent une pause avant de remonter au rez-de-chaussée affronter la fosse pour rejoindre leur z’amoureux juste devant l’estrade. Mais, leur
conversation futile et éphémère ne l’aida pas, Stéphanie ne tenait pas en place. Elle trépignait. Pourquoi ?
I got the boom boom boom… How the beat bang… Boom boom
boom
Remontant lentement les marches de l’escalier, Cécile juste derrière elle, Stéphanie ressentit ce malaise qui l’avait
assailli dix mois plus tôt.
- Ça ne va pas, ça ne va pas ! Y’a un problème ! Sam ! Ne voulant pas céder à la panique qui lui
piquetait les chevilles et remontait vers son cœur tandis que sa gorge et ses yeux commençaient à la faire souffrir, elle continua de s’avancer vers la fosse où l’impression de désastre
s’amplifiait alors que tous autour d’elles s’amusaient.
Mais ça n’allait pas, les spots roulaient sous les lumières colorées, les lasers crépitaient, la musique tambourinait
dans les caissons de basses, et la ventilation était devenue carrément inaudible face aux déchainements de plus de trois cent personnes heureuses de fêter ensemble la nouvelle année.
They try copy my swagger… Im on that next shit now… Im so
3008
- Calme-toi ! Ce n’est rien ! Tu fabules ! Arrête !
Attrapant la main de Cécile, Stéphanie accélérait le pas. Contournant la rambarde, elle s’obligea à ne pas la sauter,
et perdit l’espoir de le rejoindre plus vite. Mais il fallait qu’elle reste calme, il fallait qu’elle le rejoigne. Ils devaient partir. Sam ! Incapable de le voir de la où elle était, elle
continua à tirer sur le bras de son amie. Elles avançaient trop difficilement à travers les tablées.
- Sam ! Stéphanie se mordit les lèvres, il ne fallait pas qu’elle hurle, pas déjà, alors serrant plus fort la
main de Cécile, elle la traina fermement dans le deuxième escalier, ignorant ses plaintes et ses questions. Elles descendaient aussi vite que leur permettaient soixante-quinze personnes entassées
autour d’elles.
- Sam ! À deux pas devant elle, il lui souriait, Marc aussi. N’avait-il pas compris à son visage que cela
n’allait pas ?
Your so 2000 and late… I got the boom boom boom… The future
boom boom boom…
- Au feu ! Au feu ! Cria une voix sortie de l’estrade, lui arrachant son visage.
- Non ! Attends ! Sam !
Seule dans le mouvement de foule, Stéphanie s’empêcha de trébucher, s’agrippant à ses voisins, et marchant sur des
corps écrasés. - Sam ! hurla-t-elle. Tout son être n’avait qu’une seule pensée. Sam ! Perdue entre les corps, suffocant par l’air calciné, et l’odeur de chair en train de bruler, ses
yeux lui piquaient de plus en plus tandis qu’une main la tirait du haut de la balustrade.
- Stéphanie ! Thierry l’avait arraché à la foule, et la poussait vers la sortie de service. Mais incapable de le
suivre, elle le gifla pour se dégager, furieuse, elle devait retrouver son frère.
- Non ! Je dois y retourner ! Sam est là !
Les flammes montaient, léchant l’étage supérieur, les corps gisaient, les vivants hurlaient, et l’effervescence de la
cohue l’aspirait vers le sol. Stéphanie n’y voyait presque plus mais rien n’était plus important que lui. Comment aurait-elle pu vire si lui restait dans ce four ? La musique avait cessée
laissant place aux cris, aux sirènes, et au crépitement des flammes qui avaient envahis toute la scène devant elle. Mais, rien ne la distrayait, elle continua à chercher parmi les fumées,
dévisageant les personnes qui couraient dans tous les sens, prisonniers des sorties bouchées et des barreaux aux fenêtres du premier étage, tous, ignorant que l’entrée principale était leur
salut. A bout de souffle et incapable de se résigner de l’abandonner, elle s’écroula parmi des inconnus qui avaient perdus leurs sourires, dans un seul murmure… Sam…
Dans tout le quartier, les sirènes raisonnaient, l’odeur s’amplifiait et les flemmes éclairaient les maisons alentours
comme en plein jour. Des tas de personnes couraient dans les ruelles, des gendarmes s’agitaient et montaient des barrages, et ne s’arrêtant pas, des pompiers ramenaient des blessés et des plus
malchanceux. Errant parmi eux, un jeune homme titubait, cherchant parmi les corps, triant parmi les tenues féminines noircies et écoutant les voix qui s’échappaient du bruit infernal du
brasier.
- On en est à vingt deux morts pour l’instant, quel gâchis, commença le policier.
- Etait-elle parmi eux ? Non ! Non… Trébuchant parmi les victimes en vies, il dévisageait les visages,
cherchait les ressemblances sous la crasse et la poussière, à l’affut de la moindre étincelle dans des yeux bleus semblables aux siens…
Incapable de retourner à l’intérieur à cause de la chaleur, du toit qui menaçait de s’écrouler et de cette peur qui
l’obligeait à l’attendre, il tournait autour des barrières, tel un lion prisonnier de lui-même, retenu par son cœur meurtri, ses mains brulées et sa frayeur suffocante.
- Monsieur, venez, on va vous soigner…
- Avez-vous retrouvé ma sœur ?
- Je vais me renseigner mais la liste n’est pas établie…
- Non, non, elle n’est pas morte, ça ne se peut pas !
- Calmez-vous, s’il vous plait.
Pendant que les secouristes s’affairaient autour de lui, Sam ressentit les effets des calmants qui le firent vaciller
vers un flou total.
- Stéphanie ?
- Je suis là… Sam… Je t’ai retrouvée… Ne t’inquiète pas…
- Stéphanie, j’ai eu peur, je croyais que tu étais…
- Chut… Calme-toi… Ça va aller… Laisse toi bercer… Oubli pas que je serais toujours près de toi…
Sam n’avait jamais rien pu lui refuser, petite elle avait toujours dirigé leur jeux, ado, elle avait toujours choisi
leurs destinations, et adulte elle avait toujours su quoi faire. Il aurait été perdu sans elle, il le savait. Mais là, seul dans cette chambre d’hôpital, il ne savait plus qui de lui ou d’elle
était mort ce soir. Il regardait le bilan définitif du JT de cette soirée meurtrière : cinquante-huit morts et deux-cent-quarante-trois blessés, et il pleurait, seul. Incapable de supporter
les images des portables de ceux qui avaient pu s’en tirer indemne, il enfoui son visage dans ses mains pendant que des larmes inondaient ses jolies yeux à elle.