Une sacrée
journée !
Finissant de se réveiller devant le miroir, Élia brosse ses cheveux. Elle défait minutieusement les nœuds de sa nuit
agitée. Se parfume avec son joli coffret de beauté que sa mamie lui a offert au printemps. Et finit de s’habiller doucement. Une grimace à son reflet et elle est prête. Claquant sa porte de
chambre comme tous les matins, elle se précipite dans la cuisine. Maman est là. Elle a oubliée de passer par la salle de bain. Mais ce n’est pas grave
elle est toujours jolie ma maman…
- Bonjour ma chérie, tu as bien
dormi ?
- Bonjour maman. Moui… ça va. Papa est déjà
parti ?
- Oui. Tu ne te souviens pas ?
- Si, si.
- C’est le grand jour. Tu seras prudente
hein ?
- Oui maman. Promis. Je ferais attention en traversant.
Je n’irais avec personne que je ne connais pas. Et je rentrerais direct en classe !
- C’est bien. Mange maintenant.
Obéissant, la petite fille trempe ses tartines de brioche tranchée dans son chocolat chaud. D’un œil, elle lorgne son minet qui lui
aussi profite des bontés de maman. Elle aurait bien voulu prendre sa place et se faire câliner mais elle n’a pas le temps. Il faut qu’elle se dépêche si elle ne veut pas rater
Marine !
Posant un bisou sur son front, la maman d’Élia resserre son écharpe et réajuste son chapeau avant de la lâcher au portail de leur
maison. Un sourire crispé au bord des lèvres et c’est parti !
La petite fille connait bien le chemin. Voilà trois mois qu’elle s’y prépare. Papa lui a expliqué. L’emmenant de moins en moins loin.
La laissant de plus en plus libre. Mais là, c’est mieux. Elle va pouvoir y aller toute seule. Comme une grande ! Aussi libre que mistigri quand il va faire son tour de début de soirée !
Elle va pouvoir affronter le monde. Faire ce qu’elle veut. Mais surtout prouver à son papa qu’elle peut le faire !
Tournant à l’entrée du lotissement pour rejoindre la rue des pivoines qui fusionne avec la rue centrale juste après la maison de
monsieur Merlot le facteur, elle avance doucement. Refusant de courir malgré cette petite impulsion qui la tiraille dans son cœur. Comme quand elle se cache pour utiliser le rouge à lèvre de sa
maman de peur de se faire surprendre. Une toute petite appréhension qui a décidé de s’installer dans son ventre depuis qu’elle est partie de la maison cinq minutes plus tôt !
Longeant les numéros pairs de l’avenue, elle se remémore les conseils de son papa.
– Tu dois marcher calmement. Longer les rues du coté mur plutôt que du coté voiture. Surtout tu ne vas avec personne. Tu
files les rues. Tu as le droit de dire bonjour mais c’est tout. C’est ce qu’il m’a dit au moins trois cent fois, alors je m’en
souvient !
Juste après le primeur où elle va acheter les légumes avec sa maman le samedi, Élia est attiré par une boule de poils qui ressemble à
son chaton. Elle sait qu’elle n’a pas le droit mais de la où il est, elle ne risque rien, elle peut aller le voir et le caresser. Posté sur le muret du square, le chat la regarde. La laissant
s’approcher. Le caresser. Alors, s’octroyant quelques minutes de distraction avec le matou, la fillette oubli la prudence, pour laisser les ronrons calmer ceux de ses craintes. Le suivant vers la
balançoire, elle reste avec lui un peu. Très peu de temps en fait. Juste assez pour lui faire oublier l’heure…
- Sois sage, joli matou. Tu t’appelles
comment ?
- Rrrrr… Rrrrr…
- Moi c’est Élia. Je vais devoir te laisser, faut que
j’aille à l’école mais si t’es là ce soir, je reviendrais te voir !
Courant maintenant qu’elle est en retard, Élia se précipite dans les rues Maigre et Richon qui la mènent à travers le stade à l’école
primaire…
- Ouf ! c’était moins une mais j’y suis arrivée
cancane-t-elle devant Marine qui l’attendait impatiemment à l’entrée.
- Alors ? C’est difficile de venir toute seule à
l’école ? La questionne son amie.
- Non, c’est super ! en plus j’ai fait la
connaissance d’un gros chat super sympa ! je vais le retrouver ce soir au square !
Ayant bravé les heures, conservé du pain pour son nouvel ami, étudié, joué et inlassablement pris de l’assurance sur sa nouvelle
position de grande, Élia est prête à rentrer. Le chemin de la maison bien en tête. Un dernier au revoir à Marine, et c’est partit !
Dans les rues qui bordent l’école primaire, des voitures en stationnement aux mamans équipées de leurs poussettes, Élia est confiante.
Elle longe en sens inverses les rues qu’elle a prise un peu trop vite le matin. Juste avant la boulangerie Merleaux à l’angle de la rue Maigre et Simonet d’où part le raccourcit pour accéder au
square par les cités rouge où habite Julie qui est en CE1, elle décide de se faufiler pour rejoindre le gentil matou gris.
- Bonjour petite fille, comment tu
t’appelles ?
- Bonjour… hésitant à ouvrir plus la bouche, Élia
halète. Son cœur bat vite. Papa a dit soit polie mais il ne lui a pas expliqué quoi faire avec les gens différents. Détaillant l’homme assis par terre. Sale. Seul. La main tendue par habitude,
elle se calme. La surprise qui avait apporté une frayeur s’est enfuit face à l’incompréhension de la situation. Que doit-elle faire ? Maman dit toujours qu’il faut aider les miséreux. Soit
par une petite pièce soit par un geste gratuit. Cherchant dans sa poche le morceau de pain qu’elle avait gardé pour le matou. Elle s’approche un peu et lui tend.
- Merci ma jolie. Tu devrais rentrer chez toi
maintenant. La nuit va bientôt tomber et ce n’est pas prudent. Expectore difficilement le vieux monsieur qui sent le vin et qui tousse fort.
Hochant la tête en un signe d’adieu, Élia repart. Sans peur ni appréhension. Guillerette même de sa prochaine escale…
Hélant le matou au square, la fillette s’époumone sans toutefois dénicher le chat. Elle cherche dans tous les recoins mais ne le
trouve pas. Tournant autour de l’air de jeu puis des cités rouges, elle se perd rue Rivoli quand une marre au milieu de la route l’appelle. Une flaque grisâtre qui lui cri de ne surtout pas
s’approcher. Des larmes coulant sur sa joue alors qu’elle comprend qu’elle triste fin a eu son nouvel ami, elle se met à courir. Pleurant de son petit cœur brisé la perte de liberté de celui
qu’elle aimait déjà très fort. Quand son corps se fige d’un coup. Mais où est-elle ? Qu’est ce que c’est que cette rue ? Reculant. Avançant. Pleurant encore, elle s’assied sur un banc.
Des minutes des heures ou des jours, elle ne le sait pas. Elle ne voit plus rien que la tristesse. Elle est perdue. Tout comme le chat. Effrayée et désemparée…
- Bonsoir, jolie petite fille.
- Bons… qui est là ? Cherchant vainement qui lui
parle, Élia se frotte les yeux. Occulte la nuit débutante. Chasse la brume qui gagne ses yeux pour acclimater sa vision à ce qui l’entoure.
La ruelle ressemble à toutes les autres de la ville. Élia aurait très bien pu être dans celle de la nounou d’Alice ou
encore celle de la pharmacie Alima, mais il n’en est rien. La rue qui se rétrécit en impasse après le n°20 ne lui dit rien. Les volets ne lui rappellent rien non plus. Aucun signe distinctif ne
lui permet de savoir qui vit derrière les grandes fenêtres fermées. Et pour l’heure approchant du diner, aucune lueur ne laisse présager que les logements sont habités. Aucun passant. Aucun
animal. Aucune poubelle. La rue est propre et déserte. Assise sur un banc délaissé devant le numéro 19, une petite fille pleurait doucement jusqu’à ce qu’une voix lui fasse relever le nez. Une
toute petite voix dont elle ne distinguait pas la provenance. Une douce voix qui ne lui faisait pas peur. Non, cette intonation là, la rassurait… Comme
maman…
- Qui es-là ? répéta Élia qui n’avait comme seul
ami depuis ces longues minutes d’inquiétude que la peur, l’angoisse et les premiers flocons de la journée.
- Moi… Sortant de son cartable. Toute fripée de s’être
endormie entre les pages de son livre de lecture, une petite fée se secoua. Ronchonna devant sa jupette plissée à l’envers. Sa traine dont le jaune d’or venait de virer au gris
argenté.
- Mais qu’est ce que c’est que ce bazar ! Tu ne
crois pas que je serais plus jolie en rouge et or ? Allé ressaisis-toi et offre moi une douceur !
- Quoi ? balbutia la petite fille intriguée de ce
qui se passait devant elle.
- Bah oui, penses à moi avec joie et je
m’embellirai…
- Ok.
S’amusant de la trouver tour à tour rose bonbon en forme de Shamallow. Rouge Berlingot. Noir Coca-cola. Jaune or comme l’alliance de
sa maman, Élia et Malinéa partirent dans des éclats de rire pendant que les tenues de la fée changeaient au fil de ses pensées colorées. La neige dansait autour d’elles à présent. Refusant de les
déranger mère nature créa un alot de douceur qui réchauffa leurs cœurs. L’esprit protecteur des maisons de la rue aux pots de fleurs comme la surnommaient les enfants égarés du quartier, éclaira
toutes les guirlandes de noël en une féerie qui se joint à leur rires. Rien ne pourrait les atteindre maintenant si ce n’est monsieur le vent ronchon qui leur rappela que l’heure tournait et
qu’ils avaient quelque chose à fêter ainsi qu’une maman à rassurer…
- Petite fée jolie…
- Oui Élia ?
- Est-ce que tu pourrais me ramener à ma
maison ?
- Je suis désolée, je ne peu pas. Ma fonction est de
rassurer. Je ne peu que guider ton cœur pour être mieux. Mais je ne peux pas sortir au grand jour. Seul un enfant égaré peu me contempler et profiter de la magie de l’amour et du respect. Tu vois
ici, on est dans la ruelle des âmes perdues. Celle qui accueille les esprits purs qui n’ont pour seul péché que de ne pas savoir faire plus que tout ce qu’ils accomplissent au quotidien. Dépourvu
de méchanceté. Recevant le plus souvent la médisance des autres. Tu fais parti de ces personnes et c’est pour ça que je peux t’aider.
- Je vais donc rester coincée ici ?
- Non, car nous avons un ami commun. Tu le connais bien.
C’est bientôt l’heure de son tour. Il arrive.
- Qui ?
- Ecoute…
Du son d’un grelot à la danse de poils familiers. De deux yeux accueillants au son de quatre pattes feutrées, Élia reconnu en un sourire son chaton qui la ramena à la maison où les bras de sa maman vinrent sécher ses larmes de petite fille qui ne veut plus être
grande…
De l’autre coté de la réalité, cachée dans les bras de sa mère, la petite fée était fière de sa première mission. Protéger et
secourir. Aider et choyer un enfant perdu. Dame nature félicita sa progéniture tandis que d’un baiser elle fit virevolter les esprits apaisants de la ville en un sommeil rassurant. Mais, lorsque
monsieur le vent son mari la rejoint, elle ne pu s’empêcher de lui confier ses doutes sur les bienfaits de leurs actions…
- Ventilet ?
- Oui ma douce Natura…
- Ne crois tu pas que nous devrions laisser les humains
se débrouiller ? Subir la perte pour qu’ils comprennent combien leurs enfants leur sont précieux ? Subir la mort, les désillusions et la souffrance pour qu’ils
changent ?
- Non mais que viens-tu de dire ? ça ne va
pas ! Gronda le vent qui transforma la poussière d’étoile en un déferlement de grondement. Un orage de colère qui fit trembler la ville jusqu’au barrage de l’allier.
- Jamais les hommes ne seront capables de faire
ça ! Si tu enlèves la magie aux enfants, jamais de descendance, il n’y aura. Jamais l’humanité ne survivra. Il faut des gens purs pour comprendre nos choix et survivre. Oui, survivre à la
folie du pouvoir. Survivre à la folie de leurs extravagances. Du toujours plus quitte à anéantir la flore et la faune.
- Calme toi mon mari, tu vas effrayer tous les saumons…
et viens te coucher. Susurra mère nature contrariée de ses doutes.
Tourmenté par les propos de sa femme, le vent mis un moment à calmer son tourment. Il ne pouvait concevoir un monde sans douceur. Sans
joie. Sans sécurité. Sans enfants non plus...