« De l’odeur du jasmin a celui du mimosa, son nez retrouve le chemin. De l’odeur de la roseraie qui s’avance le long du sentier, elle n’entend plus ses pas. Ne se repère pas dans l’espace. Son corps ondule sous le soleil. Elle hume sa trajectoire à travers l’odeur des feuilles. L’odeur de la brume matinale. L’odeur de son désir. Tout son être frémi de cette douce sensation de plénitude. De perfection. Ce subtil bien-être qui l’envahit. Cette euphorie d’être en cet instant, maitresse d’elle-même. Cette folie de se dire qu’elle peu conquérir le temps sans crainte. Avancer sans avoir peur de vaciller. Se blesser. Faner. Avancer sereinement. Capable de se guider dans le vide. Parmi la flore. Parmi la faune aussi. Mais pas parmi vous. Non, ça, elle ne le peut pas. Elle est trop différente. Trop loin de vos préoccupations. Trop loin de vos considérations. Trop abstraite. Trop entière. Trop compliquée…
Le pas léger, elle regagne sa maison. Une petite chaumière d’un autre temps. Isolée parmi les animaux de la ferme. Isolée parmi les humains. Et pourtant si proche. Les gens d’ici l’appellent "la timbrée" de ce petit nom affectif qu’elle traine d’années en années. Les enfants ne lui jettent plus de cailloux. Certains osent même s’approcher d’elle. Essayant de comprendre pourquoi il n’y a ni console ni réveil chez elle. Pourquoi le temps n’avance pas pareil chez Mlle Missie. Pourquoi la prairie remplace le poste de télévision. Pourquoi le lait parfume la maison. Pourquoi le coq la fait sourire. Pourquoi elle est heureuse… Végétarienne ? Vieille fille ? Esseulée ? Ame en perdition ? Ange ? Démon ? Personne ne saurait dire vraiment qui elle est. Qui elle n’est pas non plus. Elle vit parmi eux mais personne ne la connait. Personne n’a pris le temps de lui parler. De s’inquiéter d’elle. Attendent-ils qu’elle s’éteigne en silence pour être enfin dégagé de cette tare qui encombre leur commune ? Souhaitent-ils qu’elle périsse pour récupérer leur perfection d’être tous politiquement corrects ? Des moutons qui n’osent pas dire ce qu’ils ne veulent pas. Qui n’osent pas réagir face à la maltraitance. La soumission. La perversion. Les crimes contre leur propre humanité si belle et si pourrie à la fois…
A l’aube de la nouvelle ère, une vieille femme s’éteint. Ne laissant que des biens inestimables pour ceux qui savent que la vie est importante, que si l’on protège chaque espèce qui a le droit d’exister. A l’entrée de sa maison, l’aube de sa nouvelle vie, un seul mot est gravé. Il ne signifie pas richesse pour vous, mais pour elle, oui. Cette simple inscription dit que chacun a le droit d’être aimé. Respecté. Choyé. Elle peut s’écrire dans la boue. Avec un marqueur. Une plaque en or ou bien comme elle, avec son sang. "Specisme". C’est ce qu’elle lègue à l’humanité. Son amour de tous en un testament de vérité qu’elle aurait aimé partager à grande échelle. Si seulement elle avait su qu’internet avait ce pouvoir de toucher toute la planète en une micro seconde.»